Les éditions le Délirium

jeudi 19 janvier 2012

Probable explosion du dédale



Paru dans la revue MOUVEMENT  :

En regard des « mathématiques de l’avoir »
de l’économie, en fonder une « de l’être ».
Laurent Derobert, dans ses mathématiques
existentielles, utilise intégrales, dérivées
et limites pour façonner des concepts précis.
Ainsi formulés, ils deviennent universels.
Les références aux formules newtoniennes
et au calcul différentiel honorent tout autant
la vacuité du symbole mathématique que
sa force conceptuelle.
Pour autant c’est bien du sujet singulier dont
il est question. Prenant au pied de la lettre
l’enseignement de Protagoras, Derobert fait
de l’homme la mesure de toute chose. Il
appartient à chacun de définir les êtres
(rêvés, vécus, réels) que nous sommes ou
qui habitent notre monde et les distances
qui les séparent. Le problème paradigmatique
consiste à minimiser son dédale, somme
pondérée des distances entre les êtres du sujet
et du monde. Une telle structure intéresse
autant mathématiciens et physiciens (qui 
participent à un second tome sur le sujet)
que psychologues et sociologues. Elle rompt
avec les concepts topologiques usuels d’une
distance conçue absolument sur un ensemble
(alors appelé espace métrique), et offre ce
qui ressemble à une science du soi par soi,
porteuse d’une ouverture sur la question
de la scientificité de la psychanalyse.
La conception de théorèmes repose sur
l’analyse d’expériences personnelles recueillies
au cours d’entretiens pour « précipiter dans
une formule » la singularité de l’individu. Nos
tendances masochistes, notre schizophrénie,               Verlaine et Rimbaud - Henri Fantin
nos envols icariens prennent la forme                          Latour- Un coin de table - Détail -
d’égalités, d’inégalités ou de systèmes                        Musée d'Orsay - Paris
d’équations. Notre passion réduit le monde
extérieur à un être aimé. La variable d’Ariane
lie l’amour porté et l’amour reçu et
conditionne notre bonheur. La forme
symbolique est un squelette, il appartient à
chacun de nous d’en sculpter la chair. Laurent
Derobert nous raconte une histoire, la nôtre :
« Ce sont des mathématiques expressives voire
peut-être expressionnistes, qui n’ont rien d’explicatives
ou de prédictives. » La formule interrompt
le verbe (qu’on sache ou non la lire) et invite
à l’introspection et à l’imagination. Chacune,
accompagnée d’un sous-titre, se présente
sous la forme d’un Haïku : « vitesse de
fantômisation de l’être », « enchevêtrement
des dédales passionnels », « force d’attraction
de l’être rêvé ». Notre dédale manque toujours
son minimum et navigue entre le seuil de
Verlaine et le plafond de Rimbaud. Au-delà
des limites de la poésie, « l’explosion du dédale est
très probable ».
En choisissant de projeter sept formules
dans le cellier du Collège des Bernardins,
Alain Berland (Chargé des arts plastiques) rend                   collège des Bernardins
compte de cette « émouvante mathématique ».
L’exposition prend la forme d’un « parcours
méditatif, en face des salles de cours où la pensée
s’effectue, conduisant à la bibliothèque où la pensée
se conserve », suggère-t-il.
L’être, sous la plume de Derobert, s’incarne
dans des formules et leur donne un sens
étonnamment poétique. La rencontre entre
sa philosophie et les mathématiques passe
ainsi par une substitution conceptuelle dans
ce langage scientifique laissé intact.


Extrait de l'article "Singularité universelle" de Matthias Cléry dans le dossier " l'art met la science en jeu", in MOUVEMENT n° 62 (janvier-mars 2012).


Revue Mouvement :


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