Peut-être certains d’entre vous, lors d’une visite à Avignon, ont remarqué avec grande surprise lors de son entrée au 
délirium, lieu notable de concert, certaines formules, comme par exemple :
vlˆmoy=1T∫T0(dlˆdt)dt
 Vitesse  moyenne  de  fantomisation  de  l’être  rêvé  
ou encore :
ζΛ=1T∫T0[Λ(t)−Λmoy]2dt−−−−−−−−−−−−−−−−−−√Λmoy
 Degré  d’inconstance  du  dédale                                                
  N’est-ce pas intrigant ? Ceci est d’autant plus étonnant que le délirium est, je cite
 [1] le site sus-cité de la cité des Papes :
 Haut lieu insolite et baroque du cœur d’Avignon, le Delirium est  un salon culturel et artistique qui distille de la musique vivante du  crépuscule à 2h.
La description est certes un peu flatteuse, mais je la trouve  adéquate, et j’assumerai mon avis subjectif. Et j’irai même plus loin en  ajoutant les qualificatifs 
de charme, voire même, dans mes bons jours bienveillants et sans grande exigence de froide lucidité, 
merveilleux. Voilà pour ce qui en est de mon jugement objectif.
On pourrait penser au premier abord qu’il ne s’agit là que d’un  simple clin d’œil, un artifice de décoration utilisant l’indéniable  esthétique propre aux mathématiques. Il est déjà beau et rare qu’un lieu  à vocation multi-culturelle affiche avec éclat et majesté les belles  sinuosités des intégrales et le rite incantatoire de l’égalité.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Ces formules n’ont pas qu’une  simple vocation décorative : elles sont extraites d’un traité de 
 mathématiques existentielles . Le premier volume de ce traité, intitulé 
 Fragments de mathématiques existentielles   a été publié cette année aux éditions du Délirium. On peut même  télécharger pour quelque temps ce texte au format pdf sur le site de 
l’université populaire d’Avignon.
De quoi s’agit-il ?
Entendons-nous bien, il s’agit avant tout de poésie.  Alors que pour diffuser l’univers mathématique, l’habitude est de tenter  d’exprimer la matière des mathématiques dans le langage de tous les  jours ; les mathématiques existentielles utilisent au contraire le  langage des mathématiques, ses formules, énoncés, théorèmes et  conjectures, pour parler des questions de tout un chacun. Et non pas des  questions les plus triviales, mais les plus profondes : sentiments,  amour, dépit, et bien d’autres questions d’ordre véritablement  existentielles.
Le point de départ des mathématiques existentielles consiste à définir une certaine quantité 
Λ [2], le 
dédale :
  Λ=k1[α1.(l˜,lˆ)+β1.(lˆ,lˉ)+γ1.(lˉ,l˜)]+k2[α2.(L˜,Lˆ)+β2.(Lˆ,Lˉ)+γ2.(Lˉ,L˜)]
Les trois quantités 
l˜, 
lˆ, 
lˉ forment les trois composantes de l’
 être  l : la composante 
vécue, 
rêvée et 
réelle. Il en est de même pour les composantes du 
monde : 
L=⎛⎝⎜L˜LˆLˉ⎞⎠⎟
Chaque mise en parenthèse désigne la distance entre les composantes. Par exemple, 
(l˜,lˆ) est la distance entre l’être rêvé et l’être réel, et le coefficient de pondération 
α1 [3] est le 
 coefficient de plaisir . Parmi les autres coefficients de pondération, dits 
 éthiques , nous retrouvons le coefficient 
k1 d’
égoïsme  et le coefficient 
k2 d’
altruisme.
Le dédale 
Λ  mesure donc une sorte d’entropie de l’état existentiel, une mesure du  désordre, qu’il va s’agir donc d’optimiser ; en premier lieu, de  minimiser bien sûr.
Il y a plusieurs stratégies pour se faire, étudiées dans le traité.  On peut aussi mesurer les vitesses avec lesquelles s’éloignent où se  rapprochent les diverses composantes : on parle alors de 
vestales.  L’ouvrage se consacre avant tout dans un système de valeurs occidental  classique, où tous les coefficients éthiques sont positifs - mais la cas  du dédale de Sade, où le coefficient d’altruisme est négatif, est quand  même brièvement considéré.
Un chapitre entier est consacré au cas des modèles passionnels, où le monde 
L est réduit à la 
personne aimée l∗. S’y produit un intéressant phénomène de dualité. Mentionnons quelques propositions fondamentales de la théorie, telles : 
Toute expérience poétique accroît le domaine des êtres possibles ou encore 
la placidité du monde réel tempère le vestale du réal-altruiste. Un lemme central est celui de Rimbaud : 
lorsque le vestale passe au-dessus du plafond de Rimbaud, l’explosion du dédale est quasi-certaine.  Je ne développerai pas le Théorème de Térence, ni n’énoncerai deux  conjectures importantes de la théorie : celle de Verlaine et celle  d’Yseut.
Sans doute certains lecteurs grommellent déjà des imprécations  sourcilleuses. Je ne crois pas que l’auteur lui-même, Laurent Derobert,  cofondateur du Délirium, aura des objections trop véhémentes si ces  lecteurs qualifient d’« élucubrations » la matière de son œuvre. Mais la  puissance poétique de la démarche est réelle. L’auteur présente  régulièrement ses « idées » lors de conférences grand public, avec un  succès certain, suscitant le rire et l’émotion troublée du public. Ces  conférences ressemblent étrangement à un véritable exposé scientifique,  mais où cette fois-ci le public tout-venant éprouve la sensation de  comprendre profondément la portée des théorèmes et démonstrations, et  être concerné au plus profond de son être.
Un grand bravo à cette démarche littéraire et théâtrale novatrice,  qui, je l’espère, charmera tout autant que moi les lecteurs d’Images des  Mathématiques.